En tant que ouiste français très déçu, pour ne pas dire pire, par le résultat du référendum sur le TCE en 2005, je ne me réjouis évidemment pas du résultat de vendredi en Irlande. J'ai prêté attention à la campagne et aux résultats de deux oreilles : l'une en Irlande (où j'habite) et l'autre en France (merci Internet).
Il est vrai que la campagne du non ici était tout aussi désobligeante que celle qui a eu lieu en France il y a 3 ans : beaucoup d'arguments contestables (au mieux) avancés par des partis politiques en perte de vitesse et en mal de soutien populaire. Je ne m'étendrai pas là-dessus, l'excellent Spoofers Guide to Lisbon décrivant tout ceci bien mieux que moi. J'ai beaucoup plus de mal à avaler, cependant, la réaction des représentants des pays qui ont fait depuis vendredi toutes sortes de remontrances à l'Irlande. Les plus bruyants sont l'Allemagne, l'Angleterre et la France. Le fait que la construction européenne soit une fois de plus ralentie est exaspérant mais je ne suis pas convaincu que ces critiques soient le meilleur remède à la crise, surtout lorsqu'elles s'inscrivent dans le processus de construction d'une entité cohérente et « unie dans la diversité ».
J'ai lu et entendu beaucoup de commentaires reprochant à l'Irlande sa mémoire courte et son ingratitude. Venant de l'Allemagne, qui a tellement peur des référendums qu'elle n'en organise pas (pour des raisons historiques, certes, mais pas forcément plus légitimes que celles des autres) ou de l'Angleterre qui n'est toujours pas passée à l'Euro, le reproche est déjà difficile à prendre au sérieux. Mais lorsqu'il vient de la France, qui peut se targuer d'avoir inventé le nonisme sur ce sujet, il y a de quoi se demander si les grandes lignes diplomatiques de l'après-référendum n'ont pas été décidées depuis un coffee shop d'Amsterdam. Peut-être que ce concert de critiques n'est en fait qu'une stratégie géniale visant en fait plus à désamorcer la crise actuelle qu'à frustrer un des pays les plus ouvertement pro-européens qu'il m'ait été donnés de visiter ?
Cependant, si c'est le cas, un certain nombre d'analystes français feraient mieux de revoir leur agressivité à la baisse. Tant que la petite Irlande se contente d'être un cliché sympathique et qu'on y danse dans les pubs en buvant de la Guinness, tout va bien. Mais dès lors que les Irlandais montrent des signes d'inquiétude, on commence à les dire « méfiants à l'égard du monde extérieur » et on apprend qu'ils vivent dans un pays d'« égoïsme » et de « repli ». S'ensuit souvent la liste des phobies que l'on semble attribuer à toute la population. En haut de la liste : la légalisation du mariage homosexuel (qui est tout à fait légal en France, comme chacun sait, pays où les militants anti-PACS n'ont par ailleurs jamais existé) et celle de l'avortement (question qui n'est à la source de débats animés dans aucun autre pays occidental, n'est-ce pas ?). Pour couronner le tout, j'ai vu un journal télévisé français dépeindre le pays comme un repère d'attardés où une partie des affiches pour le référendum étaient « encore en gaélique » (j'espère que la citation se passe de commentaires, il y aurait de quoi doubler la taille de cet article).
Un pays indépendant depuis moins d'un siècle et conscient de la fragilité de sa prospérité peut réagir de façon incontrôlée lorsqu'on lui agite le spectre de l'harmonisation fiscale ou qu'il a des doutes quant à la neutralité de sa force armée. Le traité de Lisbonne, plus qu'innocent sur ces sujets, en a fait les frais et c'est bien dommage. Mais, alors que l'Irlande elle-même semble avoir du mal à saisir l'ampleur des conséquences de son vote, la réaction emprise de panique de ses partenaires européens (demandant tantôt que la ratification continue, tantôt qu'elle s'arrête, et souvent que l'Irlande va devoir répondre de sa faute) fait parvenir un message tout aussi confus qu'inquiétant quant à notre capacité à résoudre nos propres problèmes. Pour cette raison Brian Cowen, qui a eu la malchance d'hériter d'une crise dont il n'est pas vraiment responsable, a une démarche tout à fait sage en essayant de chercher une solution commune à un problème qui est au final celui de toute l'Europe et non pas seulement des 800.000 Irlandais qui ont voté non. Il ne reste plus qu'à souhaiter qu'une réponse positive sera vite trouvée et que l'Union européenne sortira grandie de cette série de mauvais pas.
15 juin 2008
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